Degemer mat et ongui ettori* au livret de famille en langue régionale ?

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Délivrer des livrets de famille bilingues est toujours interdit sur plusieurs fondements, mais le ministère de la Justice, dans une réponse à la question écrite du sénateur Gérard Le Cam, a envisagé une solution alternative, qui pourrait être facilement mise en œuvre.

Le principe applicable pour les documents administratifs est simple : ils doivent être rédigés en français. Cette obligation découle de l’article 2 de la Constitution, qui impose la langue française comme la langue officielle et donc la seule en vigueur dans l’administration. En revanche, comme l’indique le ministère de la Justice en reprenant les termes même de la décision du juge constitutionnel du 15 juin 1999, la conciliation entre l’article 2 de la Constitution (le français est langue officielle) et l’article 11 (liberté d’expression, et ainsi liberté d’utiliser la langue que l’on souhaite) s’établit ainsi : dans les rapports entre les citoyens et l’administration, la langue française est incontournable. En revanche, dans les rapports privés, n’importe quelle langue peut être utilisée. Recourir à une lecture trop rapide de cette distinction conduit à écarter toute relation entre un service d’état civil et les usagers dans une autre langue que le français. La réponse du ministère établit pourtant une distinction entre ce qui relève d’un service public administratif (la délivrance du livret de famille doté d’une valeur juridique) et ce qui peut relever d’un service public industriel et commercial (une offre de livret de famille dans une autre langue). Cette offre doit, pour être licite, porter sur un document n’ayant pas de valeur juridique, délivré à la demande des usagers, et sans être à la charge de l’État. Pensé comme une simple traduction du livret français, il pourrait avoir une forme différente de celle imposée par l’arrêté du 1er juin 2006. La délivrance de ce pseudo livret de famille, en langue étrangère, peut très bien se faire à la même occasion que celle du modèle officiel (mariage, naissance ou adoption du premier enfant du couple) ou pourra se défaire de cette condition. Plus que les conditions réglementaires, ce sont celles de vente ou de délivrance à titre gratuit qui doivent être examinées. Si ce document ne peut pas être établi à la charge de l’État, rien n’empêche une commune de le faire fabriquer et délivrer à ses frais. La seule obligation sera d’établir un budget annexe équilibré en dépenses et en recettes, conformément aux dispositions de l’article L. 2224-1 du Code général des collectivités territoriales.Dans la pratique, une commune pourra commander des livrets établis selon son cahier des charges à un prestataire extérieur en suivant les règles propres aux marchés publics de fournitures. Compte tenu du nombre de livrets et du prix unitaire faible, il est fort probable qu’une telle commande ait un niveau inférieur au seuil des procédures formalisées (15 000 € HT), ce qui permet d’utiliser la procédure adaptée de l’article 28 du Code des marchés publics. Le point délicat est la mise en vente des livrets en langue étrangère. La commune devra, par une délibération du conseil municipal ou par décision du maire s’il en a reçu délégation, constituer une régie de recette et nommer un régisseur parmi le personnel communal en suivant le mode d’emploi déployé par l’instruction codificatrice du 21 avril 2006. La vente de biens étant exonérée de certains aspects délicats de la comptabilité, puisque limitée à l’obligation de pouvoir faire apparaître et justifier, à tout moment, de la situation de l’encaisse (CGCT, art. R. 1617-16). Par exemple l’absence de comptabilité des stocks au profit d’un simple suivi de ceux-ci permet que la responsabilité du régisseur soit d’autant allégée. Ainsi, en cas d’erreur dans les stocks pour filer notre exemple, le régisseur ne pourrait se voir engagé dans une procédure de débet devant le juge des comptes. Une fois que sont construits les aspects juridiques et comptables, la commune devra établir un aspect commercial ou promotionnel de son offre (car rien n’empêche qu’elle délivre le document à titre gratuit). La restriction à une seule langue du livret de famille pourrait poser des problèmes dans les cas où les administrés demanderaient ces documents dans d’autres langues que régionales. Certes, la réponse ministérielle ne fait mention que de ces dernières, citant leur intérêt culturel indéniable et leur reconnaissance tant par l’article 75-1 de la Constitution et la Charte européenne des langues minoritaires. En revanche, peut se poser la question de la neutralité du service public, tout économique et commercial qu’il soit, en ne proposant le document qu’en une seule langue régionale. Établir un livret de famille non officiel en breton, basque, catalan, corse, alsacien, créole ou en langues mélanésiennes peut être attrayant tant sur le plan culturel, politique que financier. Mais cette pratique demande de respecter les impératifs de la commande publique, des finances publiques et surtout, de l’égalité républicaine. Reste que pour bien des élus, un tel document présente bien plus un caractère factice qu’un véritable aspect administratif. La volonté d’établir des livrets de famille bilingues demeure, et le bien fondé juridique de l’interdiction est contesté, en particulier du fait que le livret de famille ne serait qu’un recueil d’extraits d’actes, qui peuvent tout à fait être traduits. Le juge, saisi de la question par l’État à propos de la distribution de livrets bilingues à Carhaix, tranchera une solution attendue tant en Bretagne que sur les bords de l’Adour. * Degemer mat et ongui ettori signifient « bienvenue » en basque et en breton. Sources :