Choix ou changement du nom de famille : entre liberté et complexité

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La réforme de la dévolution du nom de famille entrée en vigueur au 1er janvier 2005 a opéré une quasi-révolution dans un domaine où existait pourtant une stabilité séculaire.

En effet, plus que la nouveauté du double nom de famille, c’est bien la liberté qui est au centre de cette disposition appliquée depuis près de 10 ans : celle pour les parents de choisir le nom de famille de leur enfant, à condition toutefois de se mettre d’accord entre eux… Cette liberté de choix encadrée et conditionnée par un accord réciproque implique donc une responsabilité nouvelle pour les parents (1). Cependant, la loi a évidemment prévu des mécanismes de substitution au cas où elle ne pourrait pas s’exercer (2). 1. Un accord réciproque nécessaire pour exercer son choix L’article 311-21 du Code civil dispose que « lorsque la filiation d’un enfant est établie à l’égard de ses deux parents au plus tard le jour de la déclaration de naissance […] ces derniers choisissent le nom de famille qui lui est dévolu ; soit le nom du père, soit le nom de la mère, soit leurs deux noms accolés dans l’ordre choisi par eux… ». Cette liberté de choix suppose donc un accord tant sur le nom de l’enfant que sur l’ordre dans lequel les deux noms seront accolés si les parents optent pour cette solution. C’est précisément sur cette entente préalable que réside leur nouvelle responsabilité. En effet, avant le 1er janvier 2005, jamais cette question ne se posait : à chaque situation correspondait un nom automatiquement et légalement dévolu à l’enfant. Et, sauf exception, il s’agissait presque toujours de celui du père. Désormais, les parents doivent donc discuter au préalable pour trouver un consensus leur permettant d’effectuer une déclaration de choix de nom de famille. Cette dernière doit être présentée à l’officier d’état civil en charge de dresser l’acte de naissance de l’enfant, lequel doit l’être dans les trois jours après l’accouchement. Toutefois, si les parents ont déjà eu un précédent enfant commun, leur choix ne pourra pas s’exercer librement : ils devront donner à leur deuxième enfant le même nom qu’au premier, afin que soit respectée l’unité de nom au sein d’une même fratrie. Enfin, la circulaire du 25 octobre 2011 a précisé que si les parents portent déjà un double nom de famille, leur choix éventuel sera limité à un nom au minimum ou deux au maximum : les combinaisons possibles pour ces parents seront donc bien plus étendues… L’accord entre les parents doit également exister dans une autre hypothèse : quand un seul lien de filiation existe au moment de la naissance, l’enfant porte le nom de sa mère et, bien sûr, aucune question de choix ne peut se poser. Mais, comme le prévoit l’article 311-23 du Code civil, « lors de l’établissement du second lien de filiation, puis durant toute la minorité de l’enfant […] », les parents peuvent changer le nom qu’il portait précédemment pour lui substituer celui du père ou lui donner un double nom. On parle alors d’« acte de changement de nom », lequel doit s’effectuer devant l’officier d’état civil de la mairie du domicile de l’enfant. Ce « changement de nom » sera alors envoyé à sa mairie de naissance qui l’apposera en marge de son acte de naissance. Il s’agit donc bien là d’une décision commune des parents conduisant au changement du nom de famille de l’enfant : a contrario, il gardera le nom de sa mère, nom qu’il portait jusque-là. Comme le précise la loi, il faut bien noter qu’à compter de la reconnaissance postnatale par le père, les parents ont le droit d’effectuer le changement de nom durant toute la minorité de l’enfant, ce qui leur laisse du temps pour se mettre d’accord. Si l’enfant a plus de treize ans, il doit personnellement consentir à ce changement. Cependant, au-delà de ces mécanismes, la loi prévoit bien entendu aussi des solutions de dévolution du nom quand l’accord n’est pas trouvé ni le choix effectué. 2. Les mécanismes de substitution La loi a prévu l’absence de choix des parents, soit parce qu’ils ne sont pas parvenus à se mettre d’accord, soit parce qu’ils n’ont pas eu connaissance ou voulu mettre en œuvre le dispositif. Dans un cas comme dans l’autre, les mêmes règles s’appliquent. Lorsque les deux liens de filiation n’ont pas été établis simultanément – cela concerne concrètement les personnes non mariées dont l’une au moins a effectué une reconnaissance prénatale – et en l’absence de choix de nom comme précédemment évoqué, l’enfant portera le nom de celui ayant établi en premier sa filiation : l’avantage va donc clairement vers celui des deux ayant effectué sa reconnaissance le premier. Cette règle existait déjà avant la réforme entrée en vigueur le 1er janvier 2005, à la différence près qu’aujourd’hui, les parents peuvent faire un choix différent, ce qui était rigoureusement impossible avant. Lorsque les deux liens de filiation ont été établis simultanément, et c’est le cas notamment des parents mariés ou de ceux qui, non mariés, ont fait une reconnaissance prénatale conjointe, l’absence de choix oblige l’officier d’état civil à donner le nom du père à l’enfant. Cette prévalence du père perdure ainsi lorsque, là encore, aucun choix contraire ou différent n’a été fait par les parents. Il est donc clairement établi que dans toutes les hypothèses, le choix réciproque des parents l’emporte et qu’à défaut, les règles supplétives doivent s’appliquer en fonction du moment de l’établissement de la filiation. Cependant, à ce système à la fois relativement nouveau et déjà complexe est venue s’ajouter, avec la loi du 17 mai 2013, une disposition singulière : pour matérialiser le désaccord des parents sur le nom de leur enfant, il a été instauré une « déclaration de désaccord sur le nom », dont un modèle figure en annexe 5 de la circulaire du 29 mai 2013 (NOR:JUSC1312445C). Cette déclaration consiste pour un futur parent à venir dans n’importe quelle mairie pour la dater et la signer devant l’officier d’état civil qui la contresigne. Il appartiendra ensuite à ce parent de la faire parvenir à la mairie qui dressera l’acte de naissance : cette dernière sera alors légalement tenue de donner le double nom de famille dans le respect de l’ordre alphabétique. En conclusion, il apparaît donc que cette responsabilité donnée aux parents les contraint à trouver un accord préalable s’ils ne veulent pas que la loi choisisse pour eux par le jeu des règles supplétives. Le législateur a étendu cette liberté en permettant à celui qui le souhaite de court-circuiter ces règles de substitution et obliger l’officier d’état civil à dresser un acte avec le double nom de famille. Mais l’exercice de cette liberté peut-il vraiment être effectif, tant les ressorts de ce dispositif restent complexes et manifestement peu connus du public ? En tous les cas, on peut se poser la question au regard d’abord des chiffres que nous livre l’INSEE : 8,5 % des enfants nés en 2012 portent un double nom, moins de 3 % uniquement le nom maternel et seuls 20 % des parents effectuent une déclaration de choix de nom de famille. La dévolution du nom du père reste donc largement majoritaire. Aussi peut-on penser qu’une part non négligeable des parents reste dans l’ignorance des possibilités offertes par la loi et que les règles supplétives s’imposent à eux en raison d’un déficit relatif d’informations. Alors demain, le nom sera peut-être une source de conflit plus importante qu’aujourd’hui au sein des familles… Sources :