Le pillage des sépultures par des agents municipaux : risques au pénal et sanctions disciplinaires

Par Emmanuelle Le Bian

Publié le

La presse se fait régulièrement l’écho de pillages de sépultures organisées lors des opérations d’exhumation effectuées dans les cimetières. Les manquements peuvent être imputables aux agents municipaux ou aux salariés des entreprises des pompes funèbres. Ces faits divers récurrents sont l’occasion de rappeler les règles juridiques relatives au respect dû aux défunts et les sanctions pénales et disciplinaires qui peuvent être prononcées.

L’image archéologique nous renvoie à une constatation : le « pillage » des sépultures existe depuis longtemps, même si elle a toujours été punie. Les lois saliques de l’époque mérovingienne punissaient déjà d’amende et de bannissement l’individu qui s’était rendu coupable de la violation et du pillage d’une sépulture. La période révolutionnaire fut pourtant marquée par le pillage des tombeaux des rois de France qui reposaient à l’abbaye de Saint-Denis. L’histoire récente ne contredit pas cette image. En 2017, un maître du pillage chinois a, pendant plus de trente ans, pillé les sépultures historiques de son pays pour revendre les antiquités ainsi trouvées et la presse française relate régulièrement divers incidents sur ce sujet.

Le respect dû aux défunts au regard du Code civil et du Code pénal

Le juge judiciaire est le garant des libertés individuelles et le Code civil dispose à l’article 16-1-1 « le respect du au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traitées avec respect, dignité et décence ».

En corollaire, l’article 225-17 du Code pénal énonce des sanctions pénales : « Toute atteinte à l’intégrité du cadavre […] est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. « La violation ou la profanation de sépultures, d’urnes cinéraires ou de monuments édifiés à la mémoire des morts » est punie de la même peine.

Depuis la loi no 2008-1350 du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire, la protection civile et pénale attachée aux cercueils est étendue à l’urne et aux cendres funéraires (violation ou profanation de l’urne, exhumation et dispersion non autorisée, bris de l’urne scellée sur un monument et cendres répandues, etc).

L’article 311-1 du Code pénal définit le vol : « le vol est la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui ». Dans l’affaire rapportée ci-dessous, les agents vont invoquer qu’il n’y a pas eu vol, un défunt ne pouvant être assimilé au terme « autrui » du Code pénal, lequel ne peut manifestement concerner que les vivants.

Dans cet arrêt du 25 octobre 2000 (no 00-82152), la chambre criminelle de la Cour de cassation pose au contraire qu’est constitutif d’atteinte à l’intégrité du cadavre et de violation de sépulture, par des fossoyeurs municipaux, le fait de « sauter sur des cercueils ou les forcer avec un instrument, pour y prendre des bijoux ou des dents en or ». La cour a ici considéré que la qualification de vol et d’atteinte à l’intégrité des défunts devait être retenue et, circonstance aggravante, que ces faits étaient intentionnels. 

Dans cet arrêt, elle énonce en effet que « ne sont pas choses volontairement abandonnées les bijoux et objets trouvés dans les cercueils […] les fossoyeurs qui s’approprient les objets trouvés commettent le délit de vol par personne chargée d’une mission de service public » puisque les bijoux ou objets trouvés dans les concessions ont toujours un propriétaire.

Au demeurant, la volonté d’une famille d’inhumer le défunt avec des bijoux marque une volonté de ne pas les en déposséder. Le décès, bien qu’il marque la fin de la personnalité juridique, ne doit pas conduire à considérer d’office que le défunt et sa famille renoncent aux biens déposés dans les cercueils.

Ces biens ne sont pas des biens abandonnés ou « sans maître », terminologie à réserver à une situation juridique bien différente.

La reprise matérielle des sépultures n’a donc pas pour effet de faire disparaître la protection pénale des cadavres et sépultures. Lors des opérations de fossoyage, la manipulation sans précaution des ossements est constitutive d’une violation de sépulture.

Dans l’affaire précitée, les agents seront condamnés à une amende importante et à une peine de prison ferme et avec sursis.

Le service public au cœur du problème

Les fossoyeurs municipaux ou les agents des entreprises de pompes funèbres exercent une mission de service public.

La loi no 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires, modifiée par la loi no 2016-483 du 20 avril 2016, dispose que le fonctionnaire exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité (article 25 de la loi). La jurisprudence administrative s’est abondamment prononcée sur l’ensemble de ces critères. On ne peut que constater que dans le cas soumis à la Cour de cassation en 2000, plusieurs critères ont gravement fait défaut.

L’article 29 de la loi de 1983 dispose « toute faute commise par un fonctionnaire dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions l’expose à une sanction disciplinaire, sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale. Dans l’arrêt précité de 2000, les agents se sont vus interdire l’exercice d’une fonction publique pendant cinq ans, conformément à l’article 311-14 2° du Code pénal. De façon générale, l’employeur attend l’énoncé des sanctions décidées en justice pour lancer sa propre procédure disciplinaire et décider des sanctions. Dans notre affaire, l’interdiction d’exercer une fonction publique pendant cinq ans décidée par la Cour de cassation a probablement conduit l’administration à engager une procédure de licenciement pour faute professionnelle. Les sanctions sont cumulatives et comme on vient de le voir, peuvent être sévères.

Une telle situation ne manque pas d’interroger sur le problème de la surveillance de ces opérations, que ce soit par les forces de police ou par le personnel d’encadrement de l’administration employeur. Il faut bien admettre que la suppression de la surveillance, par les forces de police, des exhumations administratives (loi no 2011-525 du 17 mai 2011) et la suppression de la surveillance des exhumations à la demande des familles (loi no 2015-177 du 16 février 2015), ne contribuent pas à garantir la dignité et la probité qui doivent accompagner ces opérations, réalisées par du personnel parfois mal informé et souvent peu considéré. Autant qu’il le pourra, il appartient au maire, seul ou aidé d’un policier municipal ou d’un garde champêtre, de maintenir une surveillance pour éviter que ce type de situations ne se reproduise.