La Loi J21 a 2 ans et 2 mois… quel bilan ?

Par Anaïs Danède

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La loi du 18 novembre 2016 (no2016-1547) de modernisation de la justice du XXIe siècle, aussi appelée « loi J21 », a été synonyme de bouleversement pour les officiers d’état civil. Elle a réformé certaines pratiques mais surtout transmis voire créé de nouvelles compétences.

Alors que les mesures prévues sont désormais presque toutes entrées en application, le deuxième anniversaire de cette loi est l’occasion d’en dresser un bilan. Ce focus est organisé en plusieurs parties thématiques : délai de déclaration de naissance (1), divorce par consentement mutuel (2), publicité des actes de l'état civil (3), changement de prénom et reconnaissance du nom acquis à l'étranger (4), PACS (5), rectification des erreurs matérielles (6), COMEDEC (7) et enfin suppression du double registre (8). 

1. Délai de déclaration de naissance

La loi J21 a d’abord allongé le délai de déclaration de naissance jusqu’à 5 jours (et 8 jours en Guyane). L’objectif était d’éviter les déclarations hors-délai nécessitant le prononcé d’un jugement déclaratif de naissance, souvent plusieurs mois après l'accouchement.

2. Divorce par consentement mutuel

L’officier d’état civil a été impacté de façon indirecte par le divorce par consentement mutuel par acte sous signature privée contresigné par avocats, déposé au rang des minutes d'un notaire, entré en vigueur le 1er janvier 2017.

En effet, dans ce type de divorce, l’officier du lieu du mariage n’est plus destinataire d’un jugement mais de l’attestation de dépôt d’une convention de divorce au rang des minutes d’un notaire. La mention à apposer sur les actes de mariage et naissance a donc été modifiée en conséquence.

L’attestation est plus rapide à lire que les jugements et ne nécessite pas le contrôle de son caractère définitif. Il est cependant dommage que la circulaire du 26 janvier 2017 n’ait pas obligé l’inscription de la date et du lieu du mariage sur l’attestation, car si l’officier n’est pas informé par un autre biais, il lui sera plus difficile de trouver l’acte de mariage concerné, surtout s’il n’est pas informatisé.

Même si ce divorce par acte d’avocat est présenté comme plus facile et rapide pour les couples, il est déconseillé en présence d’un élément d’extranéité (mariage à l’étranger ou mariage en France d’un ressortissant étranger) car il pourrait ne pas être reconnu à l’étranger.

3. Publicité des actes de l’état civil

La loi du 18 novembre 2016 est aussi le point de départ de réformes, de mises à jour et de nouveautés dans la communication des données d’état civil. Elle est largement précisée sur ce thème par le décret no2017-890 du 6 mai 2017.

Par exemple, la loi dispose que les couples doivent fournir un extrait avec filiation et non plus une copie de leur acte de naissance dans le cadre de leur dossier de PACS ou de mariage et cette mesure était d’application immédiate. Or, on constate encore aujourd’hui que certaines mairies persistent à demander des copies intégrales pour ces démarches, ce qui peut générer du travail supplémentaire pour les communes de naissance. En effet, si celle-ci délivre à juste titre un extrait avec filiation à un usager afin qu’il constitue son dossier de mariage ou de PACS, mais que la mairie de l’union exige une copie intégrale, la mairie de naissance devra traiter une seconde demande inutile pour cet usager.

La loi J21 a aussi prévu la vérification des données d’état civil via COMEDEC dans le cadre d’un projet de PACS ou de mariage mais le raccordement obligatoire de toutes les communes de naissance à ce dispositif au 1er novembre 2018 ne permet pas d’avoir un recul suffisant sur l’utilisation de cet outil. Cependant, ce contrôle via COMEDEC, qui n’est pas instantané, pourra nécessiter un changement de l'organisation des services d’état civil afin d’avoir toutes les données nécessaires lors de l’enregistrement du PACS ou du dépôt du dossier de mariage.  

4. Le changement de prénom et la reconnaissance du nom acquis à l’étranger

La possibilité de demander un changement de prénom à l’officier d’état civil (changement pur, mais aussi adjonction ou suppression de prénom) est une réelle simplification de cette démarche pour l’usager. En effet, il n’a plus besoin d'être assisté d’un avocat, ni d’attendre le prononcé d’un jugement.

En revanche, apprécier l'intérêt légitime d’une demande n’est pas toujours chose facile pour l’officier d’état civil. La circulaire du 17 février 2017 fournit un diaporama de jurisprudences antérieures mais chaque situation est unique et chaque agent aussi. Certes, l’officier d’état civil doit saisir le procureur de la République territorialement compétent en cas de doute sur l'intérêt légitime mais on peut craindre une interprétation différente selon le Parquet.

La reconnaissance du nom acquis à l’étranger a une vocation louable puisqu’elle donne compétence à l’officier d’état civil français détenteur de l’acte de naissance de changer le nom d’une personne afin de mettre en concordance son nom reconnu à l’état civil français avec celui conféré à l’étranger en vertu de la loi étrangère. Cela évite donc qu’un citoyen ait deux identités, ce qui avait été déclaré contraire au principe de libre circulation par la Cour de Justice de l’Union européenne.

Cette mesure permet aussi aux parents franco-étrangers d’un enfant français, ne pouvant attribuer le nom de leur choix selon la loi française, de faire reconnaître le nom étranger de leur enfant.

Par exemple : M. FERREIRA LOPES, né en France, de nationalité franco-portugaise, dont le nom n’est pas sécable et Mme GARCIA MARTINEZ, née au Portugal, de nationalité portugaise, ne pourront pas donner à leur enfant français le nom GARCIA FERREIRA. Cependant, leur enfant ayant aussi la nationalité portugaise, il pourra se voir attribuer sur son acte de naissance étranger le nom GARCIA FERREIRA. Les parents pourront alors faire reconnaître ce nom par l’officier du lieu de naissance de leur enfant.

5. Le PACS

L’enregistrement, la modification et la dissolution des PACS ont été transférées aux ODEC le 1er novembre 2017. De plus, les mairies des communes sur lesquelles était implanté un tribunal d’instance ont récupéré l’ensemble des dossiers de PACS en cours de validité et dissous depuis moins de 5 ans. Les officiers d’état civil ont pu largement anticiper cette nouvelle démarche grâce aux publications du décret no 2017-889 du 6 mai 2017 et la circulaire du 10 mai 2017. Un téléservice du PACS a même été créé dans une volonté politique de modernisation des démarches pour les usagers.

Malheureusement, nous ne disposons pas encore de statistiques sur l’année 2018 pour déterminer si ce transfert a conduit à l’augmentation ou non de la conclusion de PACS, et les conditions dans lesquelles ces nouvelles missions ont été conduites.

6. La rectification de certaines erreurs matérielles

L’officier d’état civil est aussi désormais compétent pour rectifier certaines erreurs matérielles contenues dans les actes d’état civil. Cette mission était d’application immédiate suite à la promulgation de la loi J21 mais il a fallu attendre le décret no 2017-890 du 6 mai 2017 et la circulaire du 26 juillet 2017 pour pouvoir mettre en application cette tâche.

La rectification d’une erreur est censée être plus rapide pour les usagers lorsque c’est aux officiers d’état civil de le faire mais cela entraîne en fait une charge de travail supplémentaire dans les communes de naissance notamment. De plus, bien que le procureur de la République reste compétent pour rectifier toutes les erreurs matérielles, il arrive que l’officier d’état civil transmette systématiquement les erreurs qu’ils peuvent rectifier depuis la loi, ce qui accroît encore leur charge de travail.

7. COMEDEC

Ce dispositif n’est pas nouveau mais la loi J21 l’a rendu obligatoire. Au 1er novembre 2018, il s’agit donc de procéder au raccordement des communes de naissance (communes ayant ou ayant eu une maternité sur leur territoire). Il est utilisé pour l’instant par les préfectures lors de l'établissement de titres d’identité mais aussi par les notaires. En effet, ces derniers ont l’obligation de demander la vérification des données d’état civil uniquement par ce biais à toutes les communes concernées.

Dans le retour d’expérience des mairies raccordées de septembre 2018, il est bien rappelé que toute mairie raccordée à COMEDEC est dispensée d’accepter les demandes d’actes papier provenant d’une étude notariale. La délivrance électronique prime sur la délivrance papier. Les communes ont d’ailleurs tout intérêt à ce que les notaires demandent les vérifications d’état civil via COMEDEC car l’Etat versera, pendant 7 ans et depuis le 10 mai 2017, une aide financière. Elle sera de de 0,50 euros par vérification effectuée au profit des notaires. Attention toutefois, le versement n'est effectué que si son montant est égal ou supérieur à 500 euros, soit à partir de 1000 vérifications effectuées (pour plus de détails).

Une communication est donc à mener en faveur des offices sur ce point mais aussi et surtout vis-à-vis des usagers dans le cadre de leur demande de titre d’identité. Les mairies de délivrance du titre doivent indiquer à l’usager que si sa commune de naissance est raccordée à COMEDEC, il n’aura pas à lui demander son acte de naissance. S’il sollicite quand même son acte, la commune de naissance doit lui expliquer qu’il n’en pas besoin.

Des exceptions peuvent être acceptées : l’usager a récemment changé de prénom, de nom ou de sexe ou l’acte est demandé pour l’établissement d’une pièce d’identité étrangère.

C’est d’autant plus important que le risque de double traitement est grand, alors même que toutes les communes raccordées n’ont pas encore informatisé tous leurs actes.

Nous l’avons vu plus haut, les mairies peuvent aussi demander la vérification des données d’état civil à la commune de naissance d’un usager pour l’enregistrement d’une convention de PACS, ou l’établissement d’un acte de mariage. Il suffit pour cela que les logiciels d’état civil de chaque commune soient adaptés.

Nous sommes aussi en attente du raccordement à ce dispositif par les administrations, services et établissements publics de l'État ou des collectivités territoriales, les caisses et organismes gérant des régimes de protection sociale.

8. La suppression du double registre

Ce sujet fait débat, notamment par les archivistes qui dénoncent la fin d’une obligation de  sécurité et d’authenticité et doutent de la fiabilité des données électroniques (cf. Légibase no 75).

La loi du 18 novembre 2016 a modifié l’article 40 du Code civil en ce sens que « les communes dont les traitements automatisés de données de l'état civil satisfont à des conditions et à des caractéristiques techniques fixées par décret sont dispensées de l'obligation d'établir un second exemplaire des actes de l'état civil ». Ces conditions ont certes été précisées par le décret no 2018-890 (cf. Légibase no 80) mais doivent encore être complétées par un arrêté devant fixer les modalités techniques de sécurité, d'intégrité et de confidentialité. Cet arrêté ne semble pas avoir été publié à ce jour, aussi le double registre est toujours d’actualité.

Cependant, la dématérialisation est toujours d’actualité puisque la loi du 10 août 2018 pour un État au service d'une cociété de confiance (no 2018-727, art 46), dite « Loi ESSoC », prévoit l'expérimentation de « la dématérialisation de l'établissement, de la conservation, de la gestion et de la délivrance des actes de l'état civil dont le service central d'état civil du ministère des affaires étrangères et les autorités diplomatiques et consulaires sont dépositaires ». Si cette expérimentation est un succès, on peut donc envisager à terme que le Ministère des affaires étrangères n’aura alors plus de registres papier de ses actes.

Bien que la loi J21 ait été promulguée il y a plus de deux ans, ses effets sur les services d’état civil ne sont pas tous encore appréciables dans leur ensemble. Il faudra encore quelques mois voire années pour apprécier pleinement l’ampleur concrète de cette réforme, pour les officiers et pour les usagers.