« Mariés au premier regard » : quand la fiction rejoint la réalité, mais que la réalité n’est parfois qu’une fiction juridique !

Par Emmanuelle Le Bian

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Cette émission donne l’occasion de s’interroger sur le contexte juridique de ces mariages organisés. Si, à première vue, le mariage est célébré dans les formes du Code civil, plusieurs éléments interpellent. Pour autant, le procureur de la République n’a pas exprimé la moindre observation sur les mariages célébrés depuis 2016 dans le cadre de l’émission.

Le concept

Comme tant d’autres jeux de télé-réalité, l’émission « Mariés au premier regard » est un concept emprunté à d’autres pays. En France, le concept fait, en ce moment même, l’objet d’une quatrième saison qui séduit une importante audience.

Le concept est simple : dans le but de trouver l’âme sœur grâce à une « méthode scientifique » de calcul de la compatibilité amoureuse, les candidats célibataires qui s’inscrivent à l’émission acceptent de participer à une cérémonie de mariage officielle avec un futur époux ou une future épouse qu’ils n’ont jamais rencontré(e).

Depuis le début de l’émission en France, c’est le maire de la commune de Grans (Bouches du Rhône) qui célèbre ces mariages.

Ces mariages sont-ils aussi vrais que les autres ? Pas tout à fait et de nombreux aspects juridiques méritent quelques observations.

Le contexte

Si, en leur temps, les rois et reines de France ne disposaient pas du choix de leur époux(se) (et l’on se souciait fort peu de leurs compatibilités !), aucun texte n’interdit en France de s’inscrire à ce type d’émission et d’y voir une chance de rencontrer l’homme ou la femme de sa vie, sous réserve, selon que l’on soit partisan ou détracteur de ce concept, d’un optimisme à toute épreuve ou d’un cynisme de même nature.

On précisera en effet que la production finance le divorce dans les hypothèses où la compatibilité pressentie par les psychologues n’a pas donné les résultats escomptés. Probablement rassurant pour les candidats, ce financement ne les empêche pas pour autant de rester sincères dans leur démarche.

Cela étant, statistiquement, sur les couples mariés depuis la première saison, beaucoup ont divorcé ou « craqué » pour un autre candidat de l’émission…

Bien que la participation à une émission de télévision ne soit pas prohibée par le Code civil (on se demande bien pourquoi Napoléon n’y a pas pensé en 1804), le contexte semble fort éloigné de l’esprit de ce texte fondamental pour la célébration des mariages. Qu’en est-il vraiment ?

Le cadre légal

Dans ce cadre, on rangera l’instruction du dossier de mariage, la publication des bans, le consentement et le lieu du mariage. Et sur tous ces points, le dossier semble déjà nettement moins solide…

Au préalable, on écartera le point de la capacité matrimoniale des articles 144, 147 ou 460 du Code civil. On suppose que la production a pris toutes précautions préalables en ce sens et/ou assuré les vérifications nécessaires lors de la sélection des candidats. On supposera également que le maire dispose régulièrement des pièces exigibles.

On écartera également le point de la lecture des articles du Code civil (C. civ., art. 212 à 215 et 371-1), le maire étant tenu de les lire lors de la cérémonie, qui est bien réelle. On suppose enfin que les témoins ont été correctement désignés lors de la publication des bans (C. civ., art. 63 et 74-1).

L’instruction du dossier de mariage :

C’est le premier point litigieux.

L’article 63 du Code civil prévoit que la publication des bans est subordonnée à l’audition commune des futurs époux sauf en cas d’impossibilité ou s’il apparaît que cette audition n’est pas nécessaire au regard des articles 146 (le consentement) et 180 (les conséquences sur l’absence de consentement) du même code.

Les officiers d’état civil imposent une audition en cas de suspicion de « mariage blanc », dit mariage de complaisance ou mariage simulé (circulaire du 22 juin 2010 du ministère de la Justice). Ce n’est évidemment pas le cas général.

Pour autant, tous les OEC de France reçoivent le futur couple ensemble au moins une fois pour s’assurer de visu du consentement de chacun. Le principe de l’émission voulant que les futurs époux ne se connaissent pas, l’article 63 est donc délibérément ignoré puisque l’OEC ne reçoit jamais le futur couple.

La re lecture du dernier alinéa de l’article 63 semble s’imposer…

La publication des bans :

Le même article 63 prévoit la publication des bans. Concrètement, il s’agit d’une affiche apposée à la porte de la mairie énonçant les noms, prénoms, domiciles et résidences des futurs époux, ainsi que le lieu où le mariage sera célébré. Cette publication est faite dans chacune des communes de résidence des futurs, permettant à des personnes de former éventuellement opposition.

Si le maire assure que cette publication est régulièrement effectuée, et on peut le croire (le non-respect de cette formalité entraîne la sanction de l’OEC et/ou la nullité du mariage), on peut douter du secret supposé être gardé jusqu’au jour J, la publication des bans devant être visible et lisible par tous…

Le consentement :

C’est le deuxième point litigieux.

La présence des deux futurs époux auprès de l’OEC (préalable à une éventuelle audition) permet a minima de vérifier ce point.

L’article 146 du Code civil édicte « il n’y a point de mariage s’il n’y a pas de consentement ». Se pose la question de la définition du consentement.

Il y a consentement aux principes de l’émission et une intention matrimoniale personnelle dans l’idée de trouver potentiellement l’âme sœur.

Et après ? Dans l’émission, le consentement probable est déterminé par les psychologues au vu des tests de compatibilité. Le consentement réel est limité au mot « oui » (auquel l’article 76, 6° du Code civil fait référence), prononcé lors de la célébration.

Bien sûr, il est loisible à un candidat de refuser la cérémonie au dernier moment et cette situation s’est d’ailleurs produite. Le maire ne manque pas de souligner, à juste titre, que sa mission d’OEC ne consiste pas à vérifier les sentiments des futurs mariés, qu’ils soient de l’émission ou de la vie de tous les jours. Certes.

Pour autant, y a-t-il une véritable intention matrimoniale, qui est le fondement même du mariage ? Rien n’est moins sûr. Les candidats se découvrent le jour J, et l’issue reste très incertaine, compatibilité scientifique ou pas.

Compte tenu du principe de l’émission, aucun candidat ne serait juridiquement fondé à se prévaloir d’une erreur, par exemple, sur les qualités substantielles du conjoint et qui aurait vicié son consentement (C. civ., art. 180 al. 2). Pour éviter toute contestation ultérieure ou action en nullité du mariage, la production finance le divorce.

Il ne faut pas douter que la production fait signer aux candidats un contrat excluant tout recours contre la chaîne de télévision sur ces points-là. La première des intentions, le premier des consentements, c’est celui de participer à l’émission elle-même. S’agissant du consentement libre et éclairé de l’article 180 précité, c’est-à-dire l’intention matrimoniale, elle s’exprimera (ou pas) le jour J.

Au-delà des effets juridiques souvent inutiles (transcription du mariage et ensuite du divorce), on relèvera que le maire n’assure, à aucun moment l’application de l’article 146 du Code civil. Il délègue sans ciller ses fonctions à une chaîne de télévision et leurs psychologues.

Le lieu du mariage :

C’est un dernier point litigieux. Cette vérification est importante puisqu’elle détermine l’OEC territorialement compétent. Or, l’incompétence territoriale est une cause d’annulation du mariage (C. civ., art. 191).

L’OEC doit solliciter la production de toutes pièces justificatives permettant d’établir la réalité du domicile en application de l’article 74 du Code civil (lieu où l’on est établi en droit, c’est l’adresse légale ; C. civ., art. 102) ou de la résidence (lieu où on réside en fait).

Ces pièces sont de nature multiple : factures de fluides, quittances de loyer, avis d’imposition, avis de taxe d’habitation, etc. le Code civil ne prévoit pas de dispense de production de ces pièces, étant rappelé qu’une attestation sur l’honneur ne constitue pas une preuve suffisante, et ce, quel que soient les motifs d’attachement familiaux invoqués par les futurs mariés.

Dans la pratique, de nombreux maires valident l’instruction de dossiers de mariage en méconnaissance de l’article 74. Au moins le font-ils occasionnellement et si possible discrètement…

Le maire de notre petite commune de Grans est l’heureux « élu » depuis novembre 2016 de toutes les cérémonies de mariage organisées par la chaîne de télévision en méconnaissance affichée de cet article du Code civil. Nul ne pourra croire que tous les candidats ont une adresse sur le territoire de cette commune. Un appartement serait loué sur place pour le temps du tournage, plus exactement un nom figure sur une boite aux lettres. Et cette adresse fictive suffit…

Comme le dit le maire, « il assure un acte administratif qui définit les conditions de vie entre deux personnes ». Le maire reconnaît volontiers que cette émission assure à sa commune de belles retombées médiatiques et économiques.

Une commune version « Las Vegas de poche » où le maire considère ces tournages comme une expérience agréable alors même que tous les mariages de la saison précédente se sont soldés par un divorce. Le maire est ici agent de l’État… Mais, nous dit ce maire désabusé et fataliste, « tant de mariages se soldent par un divorce ! »

Le procureur de la République, sans doute informé en amont, ne semble pas s’en émouvoir. Après tout, les mariages sont célébrés dans les formes prescrites par le Code civil même si le consentement est suspendu « au premier regard »…